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« J’en avais marre de ses pleurs »

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« J’en avais marre de ses pleurs »

Ce soir, comme tous les autres soirs, Zélia pleure. Elle pleure, réveille sa mère, Hélène, puis Zélie, sa jumelle. Et si elle pleure longtemps, alors elle réveille Stacy, quatre ans, Wendy, trois ans, et Zéna, deux ans, ses sœurs qui dorment dans la chambre d’à côté. Zélia pleure toujours. Peut-être parce qu’elle a faim ou mal aux dents. Alors Hélène compte jusqu’à cinq. Un, deux, trois, quatre, cinq. Zélia ne s’arrête pas, Hélène prend le balai et frappe sa fille, sur la tête, pour qu’enfin, elle cesse. Des coups pour stopper les pleurs. Zélia a onze mois, elle meurt de la main de sa mère en décembre 2017, tuée à coups de balai.

« Que je passe en correctionnelle. C’est pas un crime ce que j’ai fait. C’est violences sans intention de donner la mort. J’espère qu’ils me laisseront sortir avant d’être jugée et que j’aurai le bracelet. Je ne suis pas une terroriste, pas une récidiviste. J’ai un CDI. Je ne suis pas un danger public. »

Hélène n’est pas sortie avant d’être jugée, elle comparaît aux assises de Nîmes les 22 et 23 juin 2020 pour violences volontaires sur mineur ayant entraîné la mort sans intention de la donner, par ascendant légitime. Elle encourt 30 ans de réclusion criminelle.

Dès l’ouverture du procès, chacun va s’attacher à comprendre le parcours, la personnalité d’Hélène. « Complexe », selon l’expert psychiatre. Hélène ne parle pas, ou peu. « Je ne montre pas mes émotions », explique-t-elle à la barre.« S’il y a bien un jour pour le faire, c’est aujourd’hui »,lui rétorque le Président.

Hélène vient d’une famille nombreuse, elle est la sixième d’une famille de sept, la dernière fille. Ses parents, Benoît et May, sont arrivés du Laos à la fin des années 70, poussés à l’exil par le génocide de leur peuple, les Hmong. Les Hmong ont soutenu les français puis les américains dans la guerre d’Indochine, dans la guerre du Viet-Nam et quand tout ça s’est fini, considérés comme des traîtres, ils ont été massacrés. Un premier enfant meurt quand les parents quittent le Laos pour la Thaïlande, pendant la traversée de la frontière. Benoît et May se réfugient dans le sud de la France et sont les premiers de leur communauté dans le Gard. Le père parle le français, il était prof là-bas, dans leur vie d’avant. Ici, il devient maraîcher et cultive des melons, des courgettes. Précurseurs, ils deviennent des exemples pour les hmong exilés en France.

Pour le père, Benoit Ly :« La connaissance est plus importante que tout et la connaissance, c’est l’école ». Il suit de près la scolarité de ses enfants. Quatre filles et trois garçons naissent. Les parents travaillent sans relâche.« A la maison, dira l’enquêtrice de personnalité, les parents sont unis, les enfants sont élevés à la française mais dans le respect de la tradition Hmong. Le père était exigeant sur le plan scolaire, la mère investie dans la vie du foyer. Elle transmettait le modèle de la bonne épouse, bonne mère à ses filles. Les femmes doivent obéir et être disponibles, être corvéables. On n’hésite pas à les réveiller pour qu’elles cuisinent si des visiteurs se présentent en pleine nuit. »

Hélène est chouchoutée par sa mère :« J’étais la dernière fille.Tous les matins, j’avais des bonbons de la boulangerie, de l’argent. J’étais rémunérée car je cuisinais, je l’assistais quelque part. » L’amour est là, pas la liberté. Toutes les sorties sont très encadrées, les loisirs n’existent pas et gare à celles qui sortiraient des clous. « Pas de sortie à l’extérieur, tout se fait dans la communauté. » indique l’enquêtrice. « Hélène est une adolescente obéissante, bonne en sport, soumise aux parents et à la tradition », précise-t-elle. Caroline, la sœur aînée, se souvient des jours heureux :

« Avant, Hélène et moi étions très complices. Passionnée par les vêtements, elle prenait soin de son physique.

— Vous avez eu la même éducation que votre sœur ?

— Non, j’étais la première, j’ai eu l’éducation la plus dure, j’aidais mes petits frères et sœurs, j’aidais mes parents.

— Il y avait des violences ?

— Non.

— Des coups avec des objets ?

— Non, mais je me suis mariée jeune, je ne sais pas. »

Chez les Hmong, on se marie tôt et chacun tient son rôle.« Le poids culturel est important notamment sur la place des femmes. Les règles familiales sont les suivantes : pudeur, honneur, respect, soumission aux anciens. », indique la psychologue clinicienne. Alors, dans le respect des traditions et comme ses sœurs avant elle, après une rencontre avec un vague cousin de sa mère, deux ou trois rendez-vous, Hélène se marie. Pour ses proches, c’est le point de rupture, le début de la chute.

« Il y a une Hélène avant ses dix-huit ans et une Hélène après, témoigne sa sœur Catherine.Elle était pleine de vie. On faisait du bénévolat dans l’association de mon père. » Caroline, l’autre sœur, précise : « Depuis son premier mariage, je ne la reconnais plus, elle a développé des problèmes mentaux. Elle a pété les plombs, elle n’est plus pareille. »

Hélène, dix-huit ans, mariée à un homme de presque quarante qui s’absente toute la journée pour aller travailler. Elle habite désormais en Savoie, loin de son cocon familial, de son foyer protecteur, qui la mettait à l’abri des autres mais aussi et, peut-être surtout, d’elle-même. Elle est isolée et souhaiterait revenir plus souvent à Nîmes. « Moi je voulais voir ma famille tous les week-ends, lui voulait pêcher. » Elle tombe enceinte, première déception, c’est une fille, Nong. « Avoir un garçon, ça porte bonheur, ça porte le nom. » dira Hélène.

Son avocat lui demande : « Si Nong avait été un garçon, la vie aurait été différente ?

— Oui, avoir un garçon c’est important pour un premier.

— Vous auriez eu d’autres enfants ?

— Oui, une fille et peut-être un garçon ou une fille, mais, vous savez, on ne choisit pas. »

Le moral d’Hélène plonge, sa détresse augmente. Loin de ses proches, seule avec ce nouveau-né, elle n’y arrive pas.
« Elle a sombré dans la dépression, mes parents se sont occupés de sa fille. Hélène a commencé à présenter des bouffées délirantes avec des logorrhées, ils ont pensé à une psychose débutante. Elle répétait des propos dans un dialecte laotien inconnu. Elle ne se lavait plus, elle pesait 35 kg et était incapable de s’occuper de son bébé. Ce sont mes parents qui se sont occupés d’elle »,explique Catherine, sa sœur, infirmière de profession. Le diagnostic des médecins est le suivant : « état psychotique aigu, état paranoïde avec hallucinations auditives et dissociation. » Hélène est hospitalisée mais ressort aussitôt. Un traitement est prescrit, du Zyprexa, un neuroleptique régulateur de l’humeur.

« Ma famille me violente »

Pendant deux ans, revenue chez ses parents, on lui cache son remède dans de la compote pour qu’elle le prenne et son état s’améliore. « Comment se passe le retour à la maison ? », l’interroge le président Laurent Fabre.

— Tout le monde est très dur avec moi. Ma famille me violente.

— Ils n’étaient pas heureux de votre retour ?

— Chez vous oui, pas chez nous. Chez nous c’est une honte. Avec le divorce, j’ai apporté la honte. »

La honte d’avoir eu une fille, la honte d’avoir divorcé, la honte d’avoir dû rembourser la dot de dix-mille euros, la honte.

Elle reprend le dessus, trouve un travail et rencontre Cédric, qui n’est pas hmong.

« Où le rencontrez-vous ?

— Pendant une formation. Au début, on vit parfois chez ses parents puis on prend un appartement mais c’est difficile avec ma fille de deux ans.

— Vous tombez enceinte et décidez d’une IVG ?

— Oui, j’en voulais pas. Une, avec le travail, c’était déjà beaucoup. Puis j’ai fait une fausse couche.

— A quel moment de la grossesse ?

— Je ne sais plus.

— Vous rompez avec lui, pourquoi ?

— Il ne s’entendait pas avec ma fille et on n’avait pas la même notion de la vie, pas la même coutume.

— Il vous laisse sortir et travailler ?

— Oui, mais il s’entend pas avec ma fille. Des fois il ne voulait pas qu’on la prenne.

— Vous vous séparez ?

— Oui, je retourne chez mes parents le temps de trouver une location à Nîmes. »

Hélène a alors vingt-sept ans, elle est mère célibataire, de nouveau, elle revient dans le giron familial. Benoit Ly, le patriarche, est une figure de la communauté hmong. On le consulte pour un tas de choses, notamment les mariages. Une famille cherche à marier un neveu, sans papiers français.

« Je le rencontre à l’enterrement de mon cousin et on se donne rendez-vous à Nîmes. Je savais qu’il voulait se marier et je pensais qu’il voulait un mariage blanc.

— Pourquoi se marier alors ?

— Mes parents me disent que je ne vais pas rester toute seule toute ma vie. J’ai vingt-sept ans, chez nous, c’est vieux.

— Quelle était la position de vos frères et sœurs ?

— Ils ne voulaient pas mais moi je pense qu’il faut refaire sa vie. C’est le coup de foudre.

— Vous tombez enceinte en 2013 ?

— Oui et ma première fille Nong vivait parfois chez moi, parfois chez mes parents.

— Ça se passe bien ?

— La grossesse n’était pas prévue, c’est lui qui voulait un enfant. Je voulais pas tomber enceinte aussi rapidement mais je commençais à avoir des sentiments. »

Stacy naît en décembre 2013, puis Wendy en décembre 2014, Zéna en décembre 2015, Zélie et Zélia en décembre 2016. Que des filles, juste des filles. Au fil des ans et des enfants, avoir un garçon vire à l’idée fixe.

La sœur aînée, entre deux sanglots, à la barre :« La tradition Hmong évoque l’importance pour une femme d’avoir un garçon pour perpétuer la descendance. La femme est là pour s’occuper de ses enfants, de son mari. C’est un signe de réussite. Hélène voulait avoir un garçon pour réussir sa vie, c’est pourquoi elle a essayé, encore et encore, d’avoir un garçon. Ma sœur a perdu pied. » Les experts abondent en ce sens :« Elle veut un garçon pour satisfaire son mari et sa communauté mais elle ne semble pas maîtriser l’enchaînement des choses. »

« Je me sentais débordée avant d’être débordée »

Le président s’adresse à l’accusée :

« Pouvez-vous nous expliquer le choix des prénoms de vos enfants ?

— J’ai cherché des prénoms en Z car je ne voulais plus de filles.

— Comment était la relation avec votre mari ?

— Au début ça allait mais à partir des jumelles il a vécu comme un célibataire. Il ne participait pas. Seule, c’était dur à gérer. J’avais l’impression d’avoir fait les enfants toute seule, de porter le pantalon dans le couple. Il sortait chasser, pêcher, il a commencé à boire avec des copains.

— Quel était votre sentiment après la naissance des jumelles ?

— Je me sentais débordée avant d’être débordée. J’étais fière d’avoir des jumelles, c’était une de mes fiertés, une de mes plus belles réussites. Maintenant j’ai perdu cette fierté. C’est dur d’avoir perdu une jumelle. »

Son mari, Suevang, témoigne à la barre.
« Pourquoi autant d’enfants ? » lui demande le président.

— Moi je pense que c’est bien pour Stacy, Wendy, Zéna mais après j’ai dit que je voulais qu’on arrête un peu car c’est dur, on travaille aux champs, c’est dur. Je voulais un rendez-vous avec le docteur pour éviter les autres grossesses.

— Pourquoi elle retombe enceinte des jumelles ?

— Elle a refusé le rendez-vous, elle a tout refusé.

— Avez-vous forcé Hélène Ly à avoir des enfants ?

— C’est elle qui décide. Ma vie avec elle, c’est elle qui décide tout. Si je la touchais, elle appelait la police mais si elle voulait, je devais le faire, même à trois heures du matin.

— Vous étiez avec Madame Ly pour les papiers ?

— Avant de la rencontrer, ma mère m’a dit qu’elle était belle et ses parents intelligents. La première fois que je l’ai vue, elle était belle et pas vieille. C’était bien ici. Au début c’était très dur, je n’avais qu’elle, je ne parlais pas français. Je n’ai jamais pensé être avec elle pour les papiers.

— Quelle sorte d’épouse est Hélène ?

— Quand elle n’est pas fâchée, normale mais quand elle est fâchée, très méchante, très jalouse. Je l’ai vue taper mes enfants et Nong. »

Le couple s’enfonce dans la violence. Bagarres au couteau, intervention répétées des gendarmes, rappels à la loi pour les deux conjoints, l’environnement familial est de plus en plus toxique, jusqu’à la rupture, alors que les jumelles ont à peine trois mois.« Monsieur, vous quittez donc le domicile en février 2017 ?

− Elle me tapait et chaque fois elle cassait mon téléphone. Elle criait et allait voir les dames de la mairie. Les policiers m’ont dit qu’il fallait que je parte, la dernière fois elle est venue aux champs et a écrasé mes courgettes avec le camion. » Le mari quitte le foyer et revient, par intermittence, pour voir ses filles, pour voir sa femme qui, une nouvelle fois, avec l’exactitude d’un métronome, retombe enceinte en mars.

Au printemps, Hélène est seule à la maison avec ses filles. Elle a une aide envoyée par les services sociaux, alertés par la maternité, mais, en juillet, elle décide de stopper le suivi.
« En 2017, votre famille, la Protection maternelle et infantile, la gendarmerie, l’équipe scolaire sont inquiets. Il y a des problèmes d’hygiène, de scolarité, de logement. Pourquoi ne demandez-vous pas d’aide ? questionne l’avocat général.*

— Je ne voulais pas d’aide, je voulais qu’il m’aide, qu’il voit ses enfants. »

De plus en plus irascible, Hélène en vient aux mains avec ses frères et sœurs. « Je n’étais pas d’accord avec son mode d’éducation, je lui ai dit un jour où elle avait frappé l’un des enfants avec une branche d’arbre, se rappelle Caroline.*

— Elle vous a frappé aussi ? interroge l’avocate des parties civiles.

— J’ai tourné les talons et elle m’a attrapée par derrière par surprise. »
Jacques, leur frère,l'a confirmé pendant l'instuction : « Elle a attrapé Caroline par les cheveux et lui a cogné la tête sur un attelage de caravane. »

Lui aussi subit les foudres d’Hélène. Alors qu’il vient avec sa mère tous les deux ou trois jours, pour donner un coup de main avec les enfants, la maison, le ménage, le ton monte :« En octobre, je me suis disputé violemment avec elle au sujet de l’hygiène. Je lui ai donné deux gifles, elle est devenue hystérique, elle est allée chercher un couteau et m’a fait une estafilade à l’œil. » Hélène s’explique : « Il avait un comportement violent, j’ai riposté, je ne serai pas allée jusqu’à la mort. »

Dès lors, Jacques refuse de mettre un pied chez Hélène, la mère vient moins elle aussi, son mari est gravement malade, il rejette une greffe, passe de longues semaines à l’hôpital.« En novembre 2017, mon père subit une lourde chirurgie et personne n’est allé chez Hélène. On n’a pas pu prendre de ses nouvelles, elle n’avait personne. Tout ça avec sa grossesse, son état de souffrance, son mari qui venait, qui appelait les gendarmes. Tout le mois de novembre, personne n’a pu aller voir ma petite sœur… » raconte Caroline secouée par les sanglots. Sa sœur Catherine se lève, la rejoint à la barre, lui tend un mouchoir. Elles s’étreignent en pleurant à chaudes larmes. Dans le box, Hélène ne bouge pas.

Le lever, les repas, les allers-retours à l’école pour les grandes, les siestes, le bain, le coucher, les corvées s’enchaînent et enchaînent Hélène chaque jour davantage. Et quand la nuit tombe, malgré la fatigue, les jumelles se réveillent encore. « Parfois elles dorment parfois elles dorment pas. »

« Vous avez des souvenirs heureux avec Zélie et Zélia ? »

Zélia ne dort pas, et Zélia pleure, et Zélia a faim, et Zélia ne mange pas seule comme Zélie, ne marche pas seule comme Zélie.

L’avocat général se tourne vers l’accusée : « Quelle était votre relation avec Zélia ?

— Mes sentiments ? Bé, j’en avais marre de ses pleurs, y’a qu’elle qui pleurait tout le temps.

— Vous l’aimiez ?

— Oui.

— Moins que les autres ?

— Je les aime tous pareil. »

Me Scherrer, l’avocat de la défense, insiste : « Qui était Zélia ?

— La plus petite de toutes à la naissance, elle pleurait beaucoup, parfois sans raison.

— Vous avez des souvenirs heureux avec Zélie et Zélia ?

— J’en ai eu quand elles se regardent, quand je les prends dans mes bras, quand elles sourient ou se touchent. Y’aura plus ça…

— Elles ont onze mois et vous n’avez aucun événement marquant ?

— Zélie peut trotter du salon à la cuisine, Zélia non. Elle se déplaçait pas comme Zélie, elle se mettait jamais à quatre pattes, elle mettait du temps à faire un pas. »

Le 17 novembre Suevang passe voir ses filles. « Quand j’arrive chez Madame Ly, j’ai vu mes enfants mais pas Zélia. Hélène dit qu’elle dort dans la chambre de Nong, elle est seule, toute mignonne. Elle avait des bleus sur les yeux, comme des larmes, elle me sourit. » Il la prend en photo et descend avec elle.

« Hélène savait pour la photo ?

— Elle savait pas. Pour les bleus elle a dit que c’était les grandes. Les grandes se tapaient entre elles mais ne tapaient pas les petites. J’ai vu ma fille souriante, j’ai pensé que ça allait guérir bientôt avec les médicaments.

— Pourquoi vous n’allez pas aux urgences ?

— Je ne pensais pas que ça pouvait aller jusqu’à la mort.

— A ce moment-là, vous suspectez d’autres violences ?

— Je n’ai pas pensé que c’était Hélène qui la tapait, sur le coup j’ai pensé que ce n’était pas la mère mais les autres enfants. »

Le 9 décembre, il revient, une dispute éclate avec Hélène qui ne le laisse pas entrer, qui refuse de lui confier les petites.« Il n’avait pas de siège auto dans sa voiture. »

Suevang se rend à la gendarmerie de Bouillargues, montre la photo de Zélia avec le cocard, dit avoir peur pour elle. Une équipe est dépêchée au domicile. Hélène les accueille, les petites autour d’elle. « Oui c’est Zélia sur la photo, les grandes l’avaient frappée mais elle va bien maintenant. » Les gendarmes repartent et rassurent le père : « Tes enfants sont bien, ils vont bien, tu peux voir tes enfants mais il faut appeler avant. »

Les gendarmes n’ont pas vu Zélia, ils ont vu Zélie. Parce qu’elle pleure sans interruption depuis presque une semaine, Zélia a été emmenée par sa grand-mère dans le village, acheter le journal pour le grand-père, pour le tiercé. La grand-mère rentre alors que la voiture de gendarmerie s’éloigne.
Le président revient sur ce raté avec Hélène :« Pendant la visite des gendarmes, avez-vous bien dit que c’était Zélie qui se trouvait avec vous ?
— Oui, j’ai dit que c’était Zélia, heu, Zélie. »

« Zélia, tu m’entends ? Zélia, c’est papa »

Le 11 décembre, Suevang reçoit un coup de fil de son ex-femme : « Viens vite faire des bisous, c’est le moment. » « Hélène m’a dit que Stacy la portait dans ses bras et qu’elle est tombée. Le docteur m’a dit qu’on ne peut pas la soigner à Nîmes et qu’on doit partir à Marseille. » Il pleure. « On est arrivés là-bas, on monte dans l’hôpital pour chercher Zélia. Dans l’ascenseur, on a vu ma fille, je savais pas que c’était ma fille, elle était comme morte. La dernière fois, quand je lui dis “ Zélia, tu m’entends ? Zélia, c’est papa ”, elle a bougé la main mais après elle bougeait plus. Mardi on est revenus là-bas et mercredi soir ma fille est morte. »

Zélia est morte le 14 décembre 2017, à onze mois. Mais que s’est-il passé pendant ces trois semaines, dans le huis-clos de cette maison que seuls les grands parents Ly ont pénétré ?

La grand-mère explique : « Depuis le trois décembre, Zélia pleure beaucoup et a le dessus de la tête tout mou, elle a des traces autour des yeux. Elle avait un œil marqué qu’elle ne pouvait plus ouvrir.

— Le weekend avant les faits, vous étiez présente ?

— Oui et j’ai vu que Zélia avait des hématomes.

— Qu’avez-vous fait ?

— Quand j’ai vu Zélia, j’ai conseillé à ma fille de l’emmener chez le médecin mais Hélène a dit qu’elle avait rendez-vous chez le pédiatre.

— Zélia avait les lèvres gonflées, que dit Hélène ?

— Hélène a dit que “c’était sa sœur qui avait tapé Zélia avec une calculatrice. ”

— Le lundi matin, Zélia vomissait et Hélène est venue vous chercher en voiture. Elle a refusé de l’emmener à l’hôpital, pourquoi ?

— Elle m’a dit que tous les enfants vomissaient et que le pédiatre devait les voir tous.

— L’après-midi, Zélia est couverte de vomi et ne réagit plus, vous la nettoyez et dites à Hélène d’aller à l’hôpital, que dit-elle ?

— Qu’elle a des contractions et ne peut pas aller chez le docteur.

— Vous restez dormir chez elle, vous êtes inquiète ?

— Oui.

— Vers 4h du matin, vous voyez qu’elle ne va pas bien, vous lui donnez un doliprane ?

— La petite ne va pas bien, elle fait du bruit en respirant, elle ne peut plus ouvrir la bouche et ne réagit plus quand on la pince. Je dis à Hélène de l’emmener à l’hôpital car ses yeux n’étaient plus normaux et que sinon, elle va mourir à la maison. »

Hélène soutient d’abord que les coups ont été portés par les grandes sœurs, des coups de trottinette, de vélo, puis, devant l’insistance des médecins, de sa famille, des gendarmes, elle avoue.
« Elle pleurait beaucoup, je ne la supportais plus, je lui donnais des coups de balai en lui disant “ pour que ça te rentre dans la tête ”. C’était de l’apprentissage. Après les coups, elle pleurait moins, elle avait compris. »

« La solution que vous trouvez c’est de lui taper sur la tête avec un balai ? »

Le médecin légiste, qui a pratiqué l’autopsie dès le lendemain du décès, lit ses conclusions par visioconférence : « L’enfant présente un volumineux hématome de la région frontale, des hématomes en lunettes autour des yeux liés à un traumatisme facial, des plaies sur les lèvres et le menton, des plaies dans la bouche avec rupture des deux freins de lèvres, une plaie à l’arrière de la tête. Des hématomes sont présents sur le tronc, la hanche, le bas du dos et la fesse gauche. Le cerveau est hémorragique et œdémateux avec des signes d’hémorragies antérieures. Le décès est entraîné par les saignements conséquents à une fracture stellaire complexe causée par un traumatisme contondant de haute énergie. »

L’avocat général pose la question que tout le monde a en tête : « Si Zélia avait été amenée plus tôt, aurait-elle pu être sauvée ?

— Le délai très long de prise en charge a sérieusement diminué ses chances de survie.

— Comment expliquer la rupture des freins labiaux ?

— La seule explication est l’insertion brutale d’objets dans la bouche. »

Depuis le box des accusés, interrogée par la cour, Hélène revient sur l’enchaînement des faits, immobile, avec une voix atone, indifférente, insondable : « J’étais agacée par les pleurs, je voulais qu’elle arrête de pleurer. J’étais en train de m’habiller, j’ai pris le balai et je lui ai mis des coups avec le balai. Elle a arrêté de pleurer. Un jour, vers trois heures du matin, elle ne s’arrête pas de pleurer, je la prends et la jette dans le cagibi, il y avait une bouteille de gaz sous une couette, je ne le savais pas. Après je l’ai prise sur moi dans le lit. Les autres enfants pleuraient pas comme ça. Je la berce les nuits, je ne dors pas, je la berce, je ne sais pas quoi faire.

— La solution que vous trouvez pour faire taire ce bébé braillard c’est de lui taper sur la tête avec un balai ?

— Oui mais j’ai regretté tout de suite. Je l’ai emmenée chez un docteur mais il était pas là, puis un autre mais c’était sur rendez-vous alors je vais à la pharmacie pour acheter de l’arnica. Je pensais qu’avec ça, ça irait.

— Pourquoi vous ne l’emmenez pas aux urgences ?

— J’avais prêté la voiture à mon frère. Je me disais que si elle ne pleure pas, c’est que c’est bon.

— Mais son état se dégrade ?

— Quand je l’ai vu, j’ai fait ce qu’il fallait. Je ne suis pas docteur et j’en ai d’autres.

— Et les coups sur les lèvres ?

— Je prenais la calculatrice pour qu’elle arrête de pleurer.

— Vous lui mettiez la calculatrice dans la bouche ?

— Oui.

— Et ça marchait ?

— Oui. J’étais saoulée par ses pleurs, j’étais agacée, j’en pouvais plus, j’ai jamais voulu la tuer.

— Pourquoi elle ?

— Parce qu’elle pleurait plus que les autres.

— Et les repas ?

— Je lui donnais à la cuillère, elle ne mangeait pas toute seule alors je lui donnais mais parfois elle voulait pas.

— Vous la compariez beaucoup à Zélie ?

— Je pensais que les vraies jumelles, elle se comportaient pareil.

— Cette petite fille était un poids ?

— Oui, c’était compliqué et je devais la porter en étant enceinte. J’avais pas conscience quand j’ai fait ça.

— Est-ce que vous refusez d’aller à l’hôpital, car vous avez conscience que son état est lié à ce que vous avez fait ?

— Oui.

— À l’hôpital, pourquoi dites-vous que ce sont les autres enfants ?

— C’est vrai, ils n’ont pas été corrects avec elle.

— À quel moment décidez-vous de dire la vérité ?

— Quand les médecins disent que les enfants ne peuvent pas faire ce choc. »

L’avocat général relance :

« Pourquoi Zélia a-t-elle un cocard sur cette photo du 17 novembre ?

— Au début je pensais que c’était mon ex-mari qui avait fait ça. Maintenant je pense que ce sont les enfants. J’ai commencé à être violente avec elle après le 17 novembre. Sur le coup, je me suis dit qu’en cachant, je n’aurais rien. À chaque fois qu’elle pleurait, je la frappais avec un objet.

— Ça pouvait être tous les jours ?

— Oui.

— Et quand les autres enfants pleuraient ?

— Eux ils s’arrêtaient tout seuls.

— Alors que vous étiez placée sur écoute, vous dites un soir à votre mère : “ Et Zélia, elle est comme le blédard, je la détestais, je la détestais. Elle mangeait beaucoup, comme le blédard. ”

— Oui, je la détestais quand elle pleurait, elle mangeait plus que les autres. »

Le blédard, c’est Suevang. Tout le monde l’exècre dans la famille Ly. Pour ses beaux-parents, ses beaux-frères, ses belles-sœurs, il n’est que ça, un blédard, un péquenaud qui a épousé Hélène pour les papiers et l’a abandonnée enceinte avec cinq petites. Lui s’en défend : « Je venais trois fois par semaine pour faire le ménage, le bain et les repas. A la fin, je voyais Hélène fatiguée, je voulais venir tous les deux jours. » Pour les Ly, « il a sa part de responsabilité, son absentéisme, sa passivité, la laissant seule avec les enfants » selon Catherine et « devrait être dans le box avec elle », pour Jacques.

Zélia est enterrée, Hélène est là, enceinte jusqu’aux yeux et désincarnée. « Le jour de l’enterrement, j’avais des contractions, je suis arrivée la première et j’avais peur d’accoucher, j’ai gardé ça pour moi. » « C’était sidérant, elle n’avait aucune émotion. Le jour de l’enterrement, elle n’a pas versé une larme, comme si elle n’avait pas de pied dans la réalité », se souvient Caroline, ravagée.

Le 24 décembre, Hélène accouche d’un petit garçon, Adam. Comme « la première lettre de l’alphabet, comme le premier homme ».Son rêve se réalise enfin. Toujours dans le déni, elle dit à sa sœur « qu’elle va reprendre la vie commune avec son mari, ses enfants. » Épouvantée, Caroline prévient les services sociaux pour protéger les petits, ils sont confiés à des familles d’accueil, le père ne peut pas les accueillir, il vit dans onze mètres carrés. Le 8 janvier 2018, Hélène est placée en garde à vue puis incarcérée.

Me Scherrer s’adresse à sa cliente : « Un jour au parloir, vous m’avez dit “ la maison c’était plus dur que la prison”.

— Oui la maison c’était une prison, à la prison je suis plus libre je peux prendre du temps pour moi, me reposer.

— Ce n’est pas triste ?

— Si. »

Triste comme le journal de Bouillargues, Lou Bouärguié qui, en mars 2018, publie l’état civil de la commune. Dans les naissances, Adam, dans les décès, Zélia.

Pendant l’instruction, Hélène met des semaines à reconnaître les faits. Malgré l’évidence, elle parle d’accident, rejette la faute sur les enfants, sur son ex-mari. Entendue par les enquêteurs, le juge d’instruction, les experts, elle est impassible, étrangère à elle-même, « désaffectivée » selon le psychiatre. Caroline donne son ressenti : « C’est compliqué. Au fur et à mesure de mes visites au parloir, je l’ai trouvée de plus en plus apathique, indifférente. J’ai l’impression qu’elle ne se rend pas compte. »

« Quelque chose dérape dans son appréhension du monde »

Pour le docteur Azéma, psychiatre : « Il y a un enjeu psychique dans le fait d’avoir un garçon. Les grossesses sont des fuites en avant, l’incidence culturelle n’est pas prégnante. C’est elle qui voulait avoir un garçon, elle qui s’impose toutes ces grossesses. Il n’y a pas de signe de pathologie mentale. Au moment des faits, il n’y a ni altération ni abolition du discernement. Quelque chose dérape dans son appréhension du monde.
La question de la tradition peut-elle nous amener à trouver des réponses ?
Elle est devant une énigme dont elle n’a pas la clé. L’argument du garçon permet de s’expliquer ce qu’elle ne comprend pas. La tradition permet une compréhension de l’incompréhensible. »

L’avocat général cherche à comprendre :« Hélène Ly est-elle une femme fragile et soumise ou quelqu’un qui prend sa vie en main avec un divorce, une ivg ?

— Hélène Ly n’est pas soumise mais ses choix sont des facteurs de fragilisation car ils sont vecteurs de honte. Son sentiment de mal-être est grandissant, quelque chose se rigidifie et amène d’autres difficultés.* lui répond la psychologue.

— Selon vous, elle a pu se fragiliser de naissance en naissance ?

— Oui, certainement. Le sentiment d’épuisement amène à une situation pré-criminelle. »

Deuxième jour d’audience, les plaidoiries sont attendues. La mère d’Hélène, Caroline et Catherine, ses sœurs, sont là pour la soutenir. Elle, cheveux détachés en rideau devant le visage, ne manifeste rien.

Me Jérôme Arnal, pour les parties civiles, commence : « J’ai rarement vu aux assises un comportement tel que le vôtre. Vos enfants vivront avec votre absence et vos mensonges. Vous avez livré des versions multiples. C’est un accident, ce sont les autres enfants. Des mensonges on a eu que ça avec vous, madame. Je pense que Zélia ressemblait beaucoup à son père, qu’elle s’arrêtait de pleurer quand elle était dans ses bras et que cela vous était insupportable. »

Pour l’avocat général, « Hélène Ly n’est pas un monstre, elle n’est pas non plus une victime ou une femme soumise. Elle est capable de faire des choix forts : une union libre hors de sa communauté, une ivg. Elle s’arrange avec la vérité pour se déresponsabiliser, pour se défausser. On a du mal à cerner son comportement, peut-être est-ce trop dur d’assumer seule ? A partir de novembre, elle se met à violenter Zélia parce qu’elle pleure plus que les autres, cinq secondes. Aujourd’hui elle est incapable de parler de Zélia, d’une intimité qu’elle aurait eue avec sa fille. On n’est pas sur un seul coup mais sur des violences habituelles, répétées. Elle lui a cassé le crâne. Je demande dix-huit ans et la déchéance de l’autorité parentale. »

May, la grand-mère, sort en réprimant des gémissements avant de hurler dans la salle des pas perdus. Hélène, prostrée, tangue sur son siège, puis se reprend en respirant bruyamment.

Me Ferry s’avance pour la défense : « Ce procès est d’une complexité hors-normes. C’est dramatique un procès car on voudrait arriver au bout de quelques heures, quelques jours, à une réponse. Au moment où je plaide, je n’ai pas de réponse, il n’y a pas de réponse. Ce n’est pas un meurtre mais c’est tout comme. Hélène Ly ne voulait pas tuer sa fille. Elle voulait fermer les yeux et se reposer, elle voulait que les cris s’arrêtent pour pouvoir se reposer et s’occuper de ses enfants. Il n’y a que la science qui peut répondre à la question. Comment Madame Ly a-t-elle pu tuer sa fille ? Cela restera une question sans réponse. »

Verdict : Dix-huit ans et la déchéance totale de l’autorité parentale. Hélène n’a pas bougé.


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